Romance Delormes • it's over.

« Ecrivain libérée. Je suis une femme libre. Je suis une libertine. Je suis bohême.
C’est ma génération qui le veut. Nous le sommes tous. J’aime mon époque. J’aime y vivre. Tous est simplement beau. Je suis libre. Je suis vraie. Je suis belle. J’aime. Liberté. Vérité. Beauté. Amour. Je respecte les règles. Je vis avec mon temps. Rien ne sert à être en avance sur lui.
Romance Delormes. Je ne vous dis rien. Mais plus tard, vous allez tous me connaître. Je l’espère. J’y crois. L’espérance est ma religion, n’est ce pas ? J’ai vingt deux ans et pleins de rêves. D’envies. La vie est longue. Je compte bien en profiter. Je vivrais sans penser aux lendemains. Avec Emile. Mon compagnon de toujours. Un comédien. Il est nouveau ici. Je lui ouvre les portes du monde parisien. De Montmartre. Il n’a pas fini d’être étonné. Moi-même je n’y connaissais rien lorsque je suis arrivée ici il y dix ans. Je suis née en Russie. Le trois mars. Avec ma mère, ma seule famille. Elle fut choisie parmi plusieurs jeunes femmes pour être danseuse. Elle débarqua à Paris et termina fille de joie. J’ai connu cette ambiance dès mon enfance. L’odeur des cigarettes. Le rapprochement des corps. La sensualité et la folie des personnes. Je sentais que l’époque bohême allait commencer. Je voulais en être. Et j’en suis. Et la Fée verte est l’ambiance que je recherche. Entre trois verres d’absinthes, je sens l’inspiration venir, je fais des rencontres et je jouis de la vie. Les hommes de Montmartre sont tous originaux. Tous uniques. Unique bien plus que tous les autres hommes. Nous vivons dans un monde à part. Dans un monde renfermé. La preuve que tout y est bien. La médiocrité de l’extérieur n’apportera jamais rien à la vie bohême ».

Toujours le même refrain. Je remontais la rue sous le son des guitares. Ils me jouaient de belles mélodies. Je rêvais de mon monde utopique. Le vent soufflait. Et j’avançais. Mes cheveux volaient et me retombaient sur le visage. D’un geste rapide, je les remettais derrière les oreilles mais le vent continuait à faire des siennes. Je remettais mon châle. Je marchais d’une démarche assurée. J’aurais voulu rester dans cette rue magique. Mais je devais être à la fée verte à huit heures moins le quart. On devait me présenter un jeune homme. Emile Dabrowski. Un polonais ou un russe. Un gars près de chez moi en tout cas. Un de ceux qui voulait goûter à cette vie bohême après en avoir eu des échos. On lui avait dis « Tous les plus grands artistes y sont » et il voulait en être. Ce soir là, le soir pendant lequel j’avais remonté la rue sous les airs des instruments, nous nous étions rencontrés. Il m’avait dis « Je veux être acteur ». Et je lui avais répondu « Je t’aiderai ». Nous étions liés. Nous nous aidions mutuellement. Je lui faisais connaître du monde. Il m’inspirait. Oui, il m’inspirait. Il était ma muse. Et certains soirs, je finissais dans ses bras. Dans son lit parfois. Et nous nous aimions. Nous fréquentions d’autres personnes. Partagions nos lits avec d’autres artistes. D’autres connaissances. Mais nous nous en moquions. C’était comme ça, en ce temps là. Nous nous aimions. Les relations sexuelles n’étaient pas exclusives. C’était comme ça au moins pour nous. Tous les soirs, on pouvait nous retrouver dans ce café chantant. Toujours à la même place. Toujours avec notre absinthe. Pour moi, cette rencontre avec le polonais-russe fut l’une des plus intéressantes qu’il me soit arrivée. Nous étions devenus de parfaits amants.


Un soir, il lui demanda « D’où viens-tu ? ». Et elle du se résoudre à partir dans de longues explications.
« Je suis née en Russie. A Saint Petersburg. Je ne sais pas qui est mon père. Un français, vu mon nom de famille. Mais ma mère s’appelait Yekatarina. Elle était belle et douée en danse. Une grâce incomparable. Nous manquions d’agent, nous étions pauvres et ma mère ne savait que danser. On lui proposa un poste en tant que danseuse, elle arriva à Paris en tant que catain. Les filles de joie, elle en était une. Et je n’avais pas honte. J’aimais ce milieu. Evidemment, ce devait être dur pour ma mère, moi je ne voyais que l’ambiance autour. La fête. La folie. La sensualité. L’amusement. Ne jamais dormir. Toujours être heureux. Profiter. Les débuts de la vie bohême selon moi. Je savais que cette tendance allait s’épandre. Que quand je serais grande, tout le monde à Paris penserait de cette façon. J’en étais persuadée. Pour ce qui est de Montmartre, je ne m’étais pas trompée. J’y ai grandis. J’ai grandis dans l’excentricité si critiqué mais que j’adorais. Ma mère était amie avec plusieurs personnes fréquentant ce café. La folie rouge, je crois qu’il s’appelait. Des peintres. Beaucoup de peintres. Certains s’amusaient à faire son portrait mais elle gardait toujours leurs œuvres. Elle ne voulait pas les voir exposer. Elle me les donnait toutes. Je les ai encore chez moi dans ma grande malle. Mais aussi des écrivains. Je me souviens d’un vieux barbu. Il respirait le calme, toujours avec son verre d’absinthe et son cigare. Je l’aimais bien. Il s’appelait Armand. Je lui parlais pendant des heures et toujours au même moment il me laissait seule quelques instants pour aller rejoindre une fille qui était libre. Il revenait toujours et nous reprenions la suite de nos histoires. Nous parlions des heures. On se racontait nos journées. Nous nous imposions certaines règles : « Dans ta phrase, inclue une métaphore. Une anaphore. Un oxymore ». A son contact, je m’enrichis. Je devins de plus en plus douée. En classe, j’atteignais le sommet en langues et littérature. J’étais faite pour être écrivain. Armand le répétait souvent. Quand il est mort, il me laissa toutes ses œuvres. Il était doué. Je ne sais qu’en faire maintenant. Cet homme voyait le monde avec un tel voyeurisme qu’il en mettait mal à l’aise certaines fois. Et puis, je voulu en faire de même. J’écrivais le soir. Le matin. Pendant mes heures de mathématiques, je ne suivais rien et sortais une feuille sur laquelle je laissais mon imagination faire son travail. Le métier d’écrivain est une vocation pour moi. Et c’est grâce à Armand que je m’en suis aperçu. Je lui dois tout. A lui et ma mère ».
Elle avait ensuite bu une gorgée d’absinthe et fumer sa cigarette en l’honneur de ce vieil homme.